Mar 10

Marcel Ferrari – Le champion de la Dranse

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UN PÊCHEUR, SES PÊCHES, SA RIVIÈRE

Le ciel pâlissait du côté de la Dent d’Oche. Dans une heure on serait à la pêche. Marcel Ferrari m’avait dit, la veille au téléphone : « Demain matin si vous voulez, au point du jour, devant chez moi ». Pourvu qu’il ne soit pas déjà parti ! Ne serais-je pas un peu en retard ? Il est des rendez-vous qu’à force d’impatience on finit par manquer. Non, pas celui-ci!

Depuis plus de 10 ans, j’entendais parler de Marcel Ferrari, du champion de la Dranse cette magnifique rivière de Haute-Savoie dont nous avons souvent parlé dans notre revue. En ça y était : grâce aux talents de négociateur de mon ami Jean Demiaux, l’ami des pêcheurs et pêcheur lui même, le rendez-vous avait été pris

1. LE MIRACLE DE LA DRANSE

Marcel Ferrari est déjà en cuissardes, le matériel rangé à l’arrière de la G.S. Il est prêt. Pas de longues présentations mais un « Il faut y aller. Il va faire jour », plein de détermination. Il profite de ce weekend-end proche de la fermeture pour pêcher, encore pêcher. Sur la route qui longe la rivière   nous faisons plus ample connaissance. « Avec ce grand beau temps et la pleine lune, on ne fera sans doute pas grand chose. Mais sait-on jamais ? ». Après le pont de la douceur et le Maravant commence le domaine du champion. Déjà on est en plein dans le sujet. Marcel ne brode pas il va à l’essentiel. A chaque détour de la rivière que nous suivons à petite vitesse, la même énumération: poids, longueur, tour de taille. Il s’agit là de ses grosses truites bien entendu !

Attentif, Marcel Ferrari attend la touche de la grosse truite en fin de dérive du leurre…

La voiture s’arrête. « Essayons ici. La semaine dernière j’en ai fait 2 petites, 3 et 4 livres ».

Non ce n’est pas de la fausse modestie ou de la muflerie ! Pour lui et les pêcheurs de  « grosses », les BRON, CAPELETTI et autre BOUCHET, une truite de moins de 3 kilos est une « petite ».

LA PERLE DU CHABLAIS

C’est ça le miracle de la Dranse : ces grosses truites qui, poussées par l’instinct de reproduction, attirées par les eaux pures et froides, remontent du lac vers la rivière pour frayer, à la façon des saumons. Cette remontée s’étale de mai à septembre, sur les 15km qui séparent l’embouchure du barrage de Bioge qui leur ferme la route. Certaines s’en vont directement jusqu’à la limite amont, d’autres, au contraire, demeurent plus en aval, la plupart d’entre elles progressent selon les coups d’eau. De la même façon s’étale leur pêche sur 3 zones distinctes.

En début de saison les pêcheurs prospectent plutôt la Basse-Dranse entre l’embouchure et le pont de Vongy, où les poissons rencontrent une chute, qui, certaines années, par eaux basse, peut les retarder de façon significative. Sage mesure, la zone à l’aval de cet obstacle, comprise entre le pont routier et le pont du chemin de fer a été mise en réserve totale.

Ici la rivière s’élargit sans s’assagir vraiment. Les pools, les « coups », sont plus longs mais nettement moins marqués qu’en amont et plus changeants. On y pêche surtout en début de saison.

Du pont de Vongy au pout de la Douceur, sur la partie, moyenne, on pêche plutôt en milieu de saison. Quelques très beaux coups, bien délimités, comme sous les vignes de Marin par exemple, servent toujours de repère à des grosses, installées ou de passage. Les rives bien dégagées, les longues grèves de galets facilitent (tout est relatif !) les combats en rendent moins problématiques les captures. C’est aussi le domaine rêvé de la mouche noyée, avec ses longs courants, ses grands lisses qui « tirent » juste comme il faut, ses farios bagarreuses en diable dans ces eaux d’émeraude. SI l’ombre que l’A.P.P. du Chablais Genevois a introduit depuis une dizaines d’années arrive à s’acheminer – et il s’en prend déjà de forts beaux – nous aurons des parcours tout à fait comparables à ceux de la Soca ou des belles rivières Autrichiennes… A 4 heures de TGV de Paris, à une demi-heure de Genève.

On peut toutefois regrette que, dans une telle rivière, la taille minimale de la truite ne soit que de 21 centimètres : mesure justifiée pour les ruisseaux de montagne, pas pour la Dranse elle-même.

Une maille à 23 puis à 25 centimètres permettrait en deux ans de retrouver une population telle que les déversements d’Arc-en-ciel, inutiles et couteux, deviendraient superflus. Ces déversements sont effectués, m’a-t-on dit, pour « contenter les touristes ». Nous ne pensons vraiment pas que les pêcheurs touristes viennent sur la Dranse pour ramasser des « truites moignons ». Il existe des bassins pour cela, la Dranse mérite mieux… et les touristes aussi.

Truites de lac, farios autochtones, ombres, tout y est. Pourquoi donc défigurer la « Perle du Chablais » avec ces poissons de cirque ? Une fort sage mesure a été prise depuis longtemps qui limite les prises à 10 poissons par jour. Alors à quand la maille à 25 cm ?

En amont du Maravant, tout change. Cette partie haute c’est pour Marcel, la vraie Dranse, « sa » Dranse, son domaine. Au fil des années, il a, peu à peu, abandonné le bas pour se cantonner dans ces endroits sauvages où l’eau bouillonne de gouffres en gouffres séparés par des lisses profonds ou des courants impressionnants. C’est aussi bien sûr le parcours des champions de canoë-kayak, qui trouvent là des eaux à la mesure de leur classe. Sur les rives, parfois, des restes d’embarcation, des débris de fibre de verre, rappellent à la prudence. Le pêcheur, comme le descendeur. C’est une succession de pools nets, bien marqués, profonds, d’accès parfois difficiles, aux surplombs plein de risques mais de promesses aussi.

2. UNE FIGURE DE LEGENDE

C’est là que Marcel Ferrari a pris la plupart des 300 truites de plus de 3kilos qu’il compte a son actif depuis 1950 : La première il l’a prise « par hasard » sur du matériel classique : petite canne à lancer léger ; petite cuillère et 22 centièmes. Jusqu’alors personne ne s’intéressait à ces monstres que l’on voyait sauter ou marsouiner. Cette capture fut ; pour lui ; un déclic, et il s’intéressa de plus en plus spécifiquement à ces grosses truites en adaptant son matériel. Il aime cependant « pêcher à l’aise », à une main, et j’ai été surpris par la finesse de sa canne en fibre de verre d’à peine 2m10. Un fort moulinet à bobine large et un 45centièmes rétablissent l’équilibre. Il ne pêche qu’à la cuillère tournante, car elles ne mordent ; les grosses, qu’à la tournante. Il m’assure avoir tout essayé, et bien d’autres confrères avec lui : le vairon, le poisson nageur, l’ondulante, etc. Rien n’y a fait. Alors il ne se pose plus de problème et utilise toujours le même modèle : Une olympique jaune n°4 ou 5 que la plombée dans l’axe permet de lancer et de faire travailler sans lestage supplémentaire. Il lance franchement amont et récupère plus ou moins vite selon la profondeur de nage désirée, selon la force et la vitesse du courant. L’attaque a lieu, quelquefois , au moment ou le leurre tape l’eau, ou le plus souvent, lorsque la cuillère, en fin de dérive aval, fait boucle avant de remonter. Elle est franche, brusque, nette, cette attaque ; et le combat qui suit est à la mesure des acteurs et du décor : farouche. Les grosses truites du lac qui remontent la Dranse sont courtes, trapues, toutes en muscles. La truite de 14 kilos, record de Marcel Ferrari ne mesurait « que » 99cm de long pour 88cm de tour de taille. Elles n’en sont pas pour autant pataudes ou chiffes molles. Une fois piquees, elles savent utiliser tous les ressorts de leur puissance, toutes les ressources de la rivière. Ce tas de muscles alliée à la force du courant donne un mélange explosif qui éclates en gerbes d’écumes et peut venir à bout meilleur nylon après un bref mais trop violent combat.

Il faut savoir doser la ruse et la fermeté, tenir le poisson pour l’empêcher de dévaler et de prendre de la vitesse, sans pour autant le brider trop. Sur les bords escarpés de certains pools, sur les rochers glissant et par fort niveau, cela donne un duel à l’issue toujours incertaine. En 1980, sa meilleure année, Marcel Ferrari a homologué 23 truites de plus de 5 kilos et reconnait en avoir perdu autant. Et c’est un « spécialiste » !

Dans ces conditions, on comprend que la gaffe soit un précieux auxiliaire, un accessoire indispensable pour l’issue du combat. En dessous de 5 kilos, Marcel, dans la mesure du possible, ne gaffe pas mais échoue le poisson à une place choisir d’avance. Marcel Ferrari pêche de façon « extensive », il aime « faire de la rivière », sans trop insister sur chaque coup. « Si elles mordent c’est aux cinq premiers passages, sinon je change de trou ». Il faut le voir alors, chamois de la Dranse, sauter de rocher en rocher, se faufiler dans des failles étroites qui donnent accès à certains coups, évitant les galets glissants et autres pièges des bords de Dranse.

Marcel Ferrari dans « son domaine », la Haute-Dranse, où se succèdent des pools profonds entre de hautes falaises…

Si Marcel connaît si parfaitement son parcours ; chaque trou, chaque remous, chaque caillou, c’est qu’il le pêche aussi à la Patache, en début de saison ou quand les grosses sont « bouche cousue » comme il le leur arrive d’être pendant de longues périodes. Mais même alors c’est à « ses »  grosses qu’il pense, guettant le saut ou le remous significatif, le lancer toujours prêt à l’arrière de la voiture, au cas où.

DES TRUITES DE 15 LIVRES

C’est en 1980 qu’il fit son plus beau triplé : 3 poissons absolument identiques de 7 kilos chacun. Mais son souvenir le plus marquant c’est celui d’un demi-échec, de cette truite piquée à 9 heures le matin et qui ne se rendit à la gaffe qu’à 11 heures et demie. Un confrère la lui gaffa, glissa, échappa la gaffe qui disparut… avec la truite. D’après de nombreux témoins présents, elle devait faire entre 17 et 18 kilos. C’était en 1968 en Basse-Dranse.

Adversaires tout aussi redoutables sont les farios de la Dranse, les truites non migratrices qui sans atteindre la taille de leur sœurs du lac, flirtent avec les 15 livres. La plus belle que captura Marcel dépassait les 7 kilos. C’est que la Dranse est un magnifique réservoir de beaux poissons. Les larves y sont nombreuses et de belle taille, les chabots abondants, les eaux de qualité malgré les variations importantes de niveau provoquées par les barrages qui entravent son cours. Cela rend la pêche problématique, voire impossibles à certaines heures de la journée mais cela protège aussi le poisson !

Cette saison 1983 se termine, elle a été très médiocre en Dranse, alors qu’au lac ce fut une excellent année. La saison prochaine sans doute ?

Marcel va faire la fermeture en espérant finir en beauté. Avant de le quitter, j’ai quand même demandé au champion s’il avait un secret pour être le meilleur même dans les années creuses.

« Bien sûr que j’ai un secret : pêcher, toujours pêcher ».

Marc SOURDOT

2 Responses

  1. tbaron dit :

    Nostalgie quand tu nous tiens , un magnifique article merci fred …….. thierry baron

  2. tbaron dit :

    Nostalgie , un tres bel article fred merci de ‘avoir partagé ……..tb

    thierry baron thonon

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